jeudi 29 mars 2012

Mars

Pour combler un peu ce manque d'activité, je vous ai concocté une petite playlist d'amour à forte consonance electroïde. Bonne écoute!

samedi 24 mars 2012

Aaron Funk, le génie de l'escroquerie



Dans le grand bal des dénominations de la musique électronique, entre des termes plus fous et abscons les uns que les autres, il y a la chimère breakcore. Concrètement, le breakcore, d’après les définitions nombreuses, c’est un déluge de percussions distordues, des break beats et des samples. Concrètement donc, ça ne veut rien dire. On pourrait y mettre le Squarepusher des débuts comme quelques bouts d’Aphex Twin, des sorties Digital Hardcore Recordings et les ouragans Atari Teenage Riot, ou même les bêtises de chez Cock Rock Disco. Le spectre est bien trop grand pour qu’on puisse dire : « ça c’est du breakcore » sans douter une seconde.

Dans cet océan de doute, il se murmure qu’Aaron Funk a inventé le breakcore. Donc qu’il n’a rien vraiment inventé. En fait, tout s’articule autour des années 1997 et 1998, années où Squarepusher ouvre une faille sur Big Loada, avant que Bong-Ra et mister Funk s’y mettent. Ils ont tous en commun le goût de la violence numérique, ils glitchent à toute vitesse et voilà qu’on balance un « ça c’est du breakcore ». Et surtout, on enferme Aaron Funk et sa bête, Venetian Snares derrière les barreaux du breakcore.

Et le voilà, le grand Aaron et sa longue chevelure comme le pape du breakcore, un peu comme Aphex devenu le prince de l’IDM. Venetian Snares est devenu l’ambassadeur d’une chose, sans même le vouloir. Aphex Twin a propulsé l’Intelligent Dance Music dans une autre dimension avec Drukqs, bien loin de la notion de plaisir. Le bonheur de Richard D. James, c’est de mixer du gros dubstep (un autre terme bien flou) avec son mac devant une horde de croyants. Venetian Snares, même combat. On boit les paroles de Funk, on attend de lui monts et merveilles, mais son délire, c’est de faire des disques sur ses chats, c’est de faire des bandes-son pour des films d’horreur imaginaires. Un inventeur, Aaron Funk ? Non, un bouffon, un élève potache d’une scène électronique qui se prend au sérieux. Sa musique n’est que l’expression des bêtises qui lui passent par la tête. Et son esprit est fertile dans ce domaine, puisqu’il a assez de bêtises à matérialiser pour sortir plusieurs albums et EPs par an.

Il y aurait un énorme malentendu sur la personne de Funk. Comme si on le surévaluait. Mais il y a bien une raison à tout cela. Elle est imprononçable, elle est hongroise, elle s’appelle : Rossz Csillag Alatt Született. Inspiré par son séjour en Hongrie, Funk convoque Bartok et Malher et réactualise leur musique, à grands coups de break beats. Sans jamais perdre son sens de l’humour, il explique à propos de Budapest : « I wrote alot of really hyperactive rave tunes there when I was happy. I wrote a tune about my favorite Don Pepe pizza and my favorite piece of sushi. ». Inconscient du chef-d’oeuvre qu’il vient de pondre, comme si ce n’était qu’une brique de plus à son œuvre de bouffon du roi électronique.
Alors, pour ne pas faire illusion une seconde, il s’est réfugié à nouveau dans ses tornades breakcore, ces choses indigestes mais jouissives qui trahissent comme un manque d’ambition flagrant. Detrimentalist, Filth et My So-Called Life sont des albums bêtes et méchants, juste de la violence pour des oreilles en mal de sensation, une violence source de plaisir certes, mais une violence sans fond. Celle d’un gamin qui arrache les ailes d’une mouche pour rire. Aaron Funk est cet éternel enfant, avec vos oreilles comme les ailes du drosophile. Rossz Csillag Alatt Született n’est qu’un lointain souvenir, un chef-d’oeuvre déjà enfoui sous les couches rugueuses de ses œuvres suivantes. Reste alors le goût amer d’un travail inaccompli.

Quelques fois, assez rarement, quand on exhume l’œuvre d’Aaron Funk, on entraperçoit ce qu’aurait pu être sa musique s’il avait continué à creuser. C’est furtif, c’est rare, mais ça en vaut la peine. My So-Called Life ne vaut que pour « Goodbye9/Hello10 », prolongement insoupçonné de Rossz Csillag Alatt Született, où les montées de percussion se font non pas pour infliger de la douleur, mais pour souligner la beauté de ses samples, pour les amener vers un des endroits à peine défloré en 2005. Des titres dans la lignée des « Hajnal » et des « Szamár Madár », des moments rares. Parce que Aaron Funk n’est qu’un égoïste, au final. Il s’offre des EPs pour son anniversaire et les vend 15 dollars pour quatre titres inconsistants, il ralentit du reggae et l’appelle cubiste, il chantonne des « I want to make you make horsey noises ». C’est son égoïsme qui l’amène à en faire autant, à partir ainsi dans tous les sens, et à sortir à chaque fois de sa prison breakcore pour mieux s’y enfermer ensuite, par manque d’ambition. Venetian Snares s’amuse à faire un breakcore bestial et un peu idiot, et il ne se contente que de faire ce qu’il aime, là sur le moment.

Suivre Venetian Snares, c’est suivre les humeurs d’Aaron Funk. S’attendre au meilleur pour entendre le pire, croire au chef-d’oeuvre et tomber sur des idioties. Fool the Detector, son dernier EP en date n’en est qu’une preuve de plus. Des virevoltants titres IDM s’entourent de catch-lines idiotes et sans intérêts. La seule constante chez Funk, c’est son inconstance. Une sorte d’imprévisibilité qui fait tout le charme de Venetian Snares. Aaron Funk est quelque part entre le génie et l’escroc. Un surréaliste capable du meilleur et du pire, dont le talent consiste simplement à les juxtaposer.

mercredi 29 février 2012

Monarch, le drone et la foi


Au départ, ce n'était qu'un terme technique. Un drone, c'est un long bourdonnement, saturé, qui ne s'arrête jamais. Une sorte de bruit grave et dénué de toute mélodie, issu des musiques traditionnelles. Utilisé par les pionniers des musiques expérimentales, de La Monte Young à Terry Tiley en passant par Phillip Glass, le drone n'était qu'un agrément à une musique plus large, plus complexe. Mais plus tard, Dylan Carlson et Stephen O'Malley se sont emparés de cette technique pour la mettre au centre de leur musique, ce qu’on appellera le drone-metal ou qu’importe. Leur musique n'existera plus que par le drone, elle serait ce bourdonnement incessant, et c’est tout.

Earth et Sunn O))) ont travaillé sur deux fronts à la fois, d'abord du côté de la mélodie et ensuite du côté du rythme. Au niveau mélodique, le drone comme genre musical abolit toute idée d’harmoniques, de progression de notes, d'assemblages d'idées. Le drone se veut comme un ressenti puissant, quelque chose qui fait vibrer le coeur et le ventre. La vibration comme credo avant la mélodie, la beauté passe à la trappe et on s'approche de la musique expérimentale, dans le sens où elle devient une expérience. Pour entrer dans le drone, il faut accepter de mettre de côté toutes ses habitudes musicales, des habitudes "pop", où les mélodies ne dissonent que rarement. Le drone fait voler tout cela en éclat, il n'est qu'un bruit. Il s'écoute et se réfléchit en termes d'ambiance et non de mélodie.

Ensuite, l'autre front, c'est le rythme. Et l'approche est encore plus flagrante. Sunn O))) a complètement explosé l'idée de cadence. Leur musique ne respecte plus aucun code rythmique, elle se fonde sur des mouvements et une entente entre les membres. Les percussions y sont rares. Le bourdonnement persiste, immuable et stable, avant que les deux terroristes sonores ne se regardent, lèvent lentement leurs guitares et changent "d'accord". Le bruit détruit l'idée de rythme au profit du suspens et de l'attente. Le drone est une lente épuration des idées préconçues sur la musique. Et de cette technique assez simpliste, qui vient seulement de la saturation entretenue d'un ampli, c'est l'idée même de ce qu'on attend d'un artiste, d'un titre ou d'un album, qui explose. Sunn O))), à travers ses albums, a réussi à désintégrer l'idée de rythme. La lenteur du stoner, puis du doom a laissé place à l'immuabilité du drone.

Mais à peine né, le concept était déjà dépassé. Encore un exemple où l'idée même de la musique prend le dessus sur l'art en lui-même. Le concept surpasse la création, et devient vide. Le drone devient alors ces assemblages de bourdonnement sans queue ni tête, cette répétition incessante d'albums difficiles à distinguer. Comme dans la sphère noise, le drone a été victime de son concept trop radical : abolir la mélodie et le rythme, comme Merzbow l'avait fait avec ses bruits analogiques puis numériques. Sauf que voilà, Merzbow n'a jamais réussi à aller ailleurs, il a sorti des milliers de disques qui racontent tous la même chose. A l'inverse des Masonna et des Merzbow, la sphère drone a très vite identifié l'impasse qu'elle avait créée. Le toujours plus du drone s'est très vite arrêté, et les mastodontes de la discipline ont tout de suite pris des détours. Les premiers albums (The Grimmrobe Demos et Void) de Sunn O))) apparaissent comme une des dernières traces de ce drone jusqu'au-boutiste, White et Black One enterrant définitivement le drone pur et simple.

En fait, ces groupes légendaires du mouvement ont assez vite intégré que le drone, seul, serait insuffisant pour produire l’ambiance recherchée ; cette ambiance fantasmée, méditative, cette langueur monocorde et entêtante passait par plus que des bourdonnements. Pour définitivement anéantir le rythme, il fallait plus que se débarrasser de la pulsation, il fallait suspendre le temps. Stephen O'Malley créé alors Khanate en 2001, puis KTL en 2006. Le premier se contente d'offrir à la voix terrifiante d'Alan Dubin une couche sonore sombre et malsaine, et Khanate devient alors prophète d'une apocalypse qui se défait complètement du concept de drone pour l'emmener vers les ténèbres. Quant à KTL, comme les derniers albums de Sunn O))), il ajoute aux drones des parties électroniques, des semblants de construction. Autrement dit, Stephen O'Malley habille ses drones au profit d'une musique d'ambiance qui se définit par sa lourdeur et son climat sordide.

De l'autre côté, chez Earth, le cheminement est sensiblement le même, à la différence près que Dylan Carlson, lui, prend encore plus significativement ses distances avec le drone, au point même de s’en défaire complètement. Il en garde l'ambiance, la lenteur et les atmosphères, mais se défait du bourdonnement, l'essence même de sa musique. Son diptyque Angels of Darkness en est une illustration parfaite : le rythme revient, la mélodie réapparaît, seul le lugubre et les basses demeurent.

Au final, le drone a évité l'écueil de l'extrémisme grâce à une mythologie et une esthétique au profit de la musique. Sunn O))) ajoute le mythe Attila Csihar, chanteur emblématique de Mayhem, à la formation, les toges et les lentes incantations en concert. Earth développe une esthétique particulière et ne s'en défait pas. Ce sont les ambiances et la mythologie qui ont fait perdurer le drone, et qui lui ont permis, paradoxalement, de sortir de son carcan. La preuve ? Aujourd'hui, on entend du trombone chez Sunn O))), façon Kilimanjaro Darkjazz Ensemble.

Tout ça pour quoi ? Tout ça pour en arriver au drone de maintenant, au drone de 2012. D'un côté, il y a ceux qui n'ont pas compris l'évolution, le virage à prendre, ceux qui persistent dans le drone technique, la succession de bourdonnement sans âme. Et puis il y a ceux qui ont su se défaire des préceptes dépassés des anciens, qui ont su s'accommoder des traditions. Ces derniers ont compris que le drone en lui-même était mort, qu'il n’en restait qu’un substrat à utiliser, à remodeler pour l'emmener un cran plus loin, là où Earth et Sunn O))) s'aventurent aujourd'hui, bien conscients de l'impasse qu'ils avaient créée.

En inventant une mystique quasiment religieuse, Monarch a pris la bonne direction. Tous les éléments nécessaires sont présents pour répondre à la difficile définition de ce drone-metal : saturation, lenteur, noirceur et longueur. Le rythme se dilue dans les drones, les mélodies ne forment qu'un voile qui habille les hurlements déchirants, mais jamais le concept ne prend le dessus sur la musique. Et la voilà, cette ambiance dont on a tant parlé ! La force du drone s'exprime par la mythologie qui l'entoure. L'envoûtement de Sunn O))), le fait qu'on y croit tient dans les robes qu'ils portent fièrement. Sans les incantations, sans la foi aveugle dans la folie, sans cette volonté inaltérable d'exprimer ce quelque chose que personne ne pourrait formuler autrement que par ce bruit, le drone de Monarch serait quelconque. Pour que les bourdonnements deviennent de la musique, il faut qu'ils soient mus par des croyances. Qu’importe le discours, qu'importe le fond, tant que la forme les retransmet. Monarch réussit alors à mêler les contraintes de la forme, les obligations d'un genre avec ses propres croyances. Le groupe français, exilé aux Etats-Unis maintenant, plie les règles du drone, bien conscient qu'elles sont dépassées, pour emmener le genre plus loin, dans un domaine finalement assez rarement exploitée, dans des sphères où Khanate a commencé le travail de conversion. On se retrouve alors plongé quelque part entre la voix folle d'Al Cisneros de Om et la noirceur d'un Burzum. Monarch comme nouveau prophète d'une apocalypse, comme nouvel étendard d'un drone habituellement synonyme d'ennui.

Monarch sort son nouvel Omens chez At A Loss Recordings, preuve que le drone remue encore dans la vase de ses bourdonnements, preuve qu'il n'y a pas que ses pionniers qui ont su s'en défaire, preuve que la foi demeure.

lundi 13 février 2012

Février

Une playlist, parce que ça fait longtemps. Dedans, il y un fan de Liverpool qui te parle, de la soul du Bénin, de la techno aride mais jouissive, de l'electronica ludique, Nino Ferrer qui te fait rire, et comme d'habitude, des trucs bizarres. Mais toujours biens.

Bonne écoute.

fevrier 12 by Brainfeeders and Mindfuckers on Grooveshark

mercredi 1 février 2012

Kevin Barnes vs Ziggy Stardust



Kevin Barnes ne l'a jamais caché. Son modèle, son artiste préféré, son exemple, c'est David Bowie. Ils partagent le même regard clair, la même élégance frêle. Ils partagent une blondeur immaculée et artificielle, les cheveux fous sur des pommettes saillantes. Barnes et Bowie, c'est ce goût pour le déguisement, se travestir sur scène, s'emparer de personnages, se féminiser, créer l'ambiguité. Aucun doute là-dessus, Kevin Barnes s'imagine comme Bowie. Il veut être Bowie, il se l'est approprié à force d'épuiser ses Ziggy Stardust et ses Aladdin Sane. Mais parce que la copie simple ne l'intéresse pas, il y apporte sa culture, ses envies, ses défauts, et surtout, détail non négligeable, il arrive 30 ans après les adieux de Ziggy à la scène.

Les similarités dépassent l'apparence physique. Kevin Barnes a rêvé d'être Bowie toute sa vie. Pas étonnant qu'il se soit emparé de ses tics, de ces petits détails qui donnent à Bowie son charisme et sa grâce qui oscille entre puissance sexuelle et fragilité maladive. Même dans la façon d'aspirer les mots, dans la voix pure et quasiment féminine avec laquelle il chante, Kevin Barnes reproduit Bowie. La tête pensante d'of Montreal apparait alors comme le recommencement de la carrière d'un Bowie, qui viendrait d'Athens, Georgia plutôt que de Londres.

Autre ressemblance troublante, le rapport de Barnes aux femmes. Comme s'il n'avait jamais vraiment su se positionner, il alterne toujours entre cette haine des femmes et des souffrances qui vont avec, et cette fascination, cette dévotion trop forte pour exister. Les femmes le rendent flou, il s'efface parce qu'elles existent, mais il les déteste parce qu'elle l'empêche d'exister, lui, en tant que Kevin Barnes. Alors il devient femme. Il enfile jupes et robes, se maquille, se travestit de la tête au pied pour conjurer le sort, devenir cette figure qui le hante. De cette façon, il réussit enfin à fuir les grands espoirs, le trop-plein d'envie, les fantasmes les plus fous que l'idée même de femme sème dans son esprit. Il fait alors face à ses peurs de la gente féminine. Il écrit "it's so embarassing to need someone like I do you" dans "The Past is a Grotesque Animal", mais se reprend plus tard avec un "you marginalize me, you sabotage me, go away, you're a bad thing, miserable thing" dans "Famine Affair". Kevin Barnes s'enferme alors dans son personnage ambigu, cet espèce de grand guignol qui cite George Bataille à tour de bras, qui danse sans cesse. Comme Bowie avait semé l’ambiguïté, Barnes s'est mis en scène. Le concept l'a dépassé. Il est devenu une bête de foire, à s'exhiber nu sur scène, à se barder de déguisements. Sauf que Bowie, lui, a su se défaire de son concept, il a su tuer Ziggy, le suicider d'un coup, sur scène, un soir de juillet 73, à l'Hammersmith Odeon.

Barnes persiste et signe dans Paralytic Stalks, comme s'il n'avait pas la force d'enfin sortir de son personnage. Il continue d'écrire ses sombres paroles sur des airs trop faciles, il continue de mettre les mélodies sucrées au devant, avec l'idée qu'elles cacheront sa déprime et sa hantise, qui s'exprime par chacun de ses mots. Il l'a toujours fait, et il continue. Le ton grave de "Gelid Ascent" n'est qu'un leurre, et la danse reprend vite le dessus. A partir du moment où il a découvert que son concept fonctionnait, qu'il s'y sentait bien, il s'y est attaché. Il continue de raconter qu'il se déteste, qu'aimer sa femme le fait souffrir, que l'humanité ne le comprend pas, il continue de coller des choeurs et des refrains sautillants pour faire semblant. C'est une grande mascarade, Barnes est un menteur comme Ziggy l'était. Bowie n'a jamais été réellement Ziggy. Il l'est devenu une fois qu'il l'a créé. C'est le personnage de Ziggy, au charisme démesuré (« he could lick them by smiling », quand même) qui a donné à David Bowie son aura. Ce sont les déguisements d'of Montreal qui ont créé Kevin Barnes. Plus que les mélodies accrocheuses, of Montreal existe et plaît parce qu'il y a Kevin Barnes, figure magnétique et fascinante. C'est son malaise et la façon dont il l'exprime qui donne à son groupe une telle puissance. Autrement dit, c'est la victoire de l'imposture du concept.

Mais, là encore, comme Bowie, le concept n'est pas vide. Il n'est pas gratuit. Il est né d'une réalité déjà disséquée et analysée : la dualité peur/fascination de Barnes. Bowie a créé Ziggy pour exalter sa personnalité, Barnes a fait of Montreal pour exhumer ses démons et conjurer son mal-être. Impossible de se défaire du mythe romantique de l'artiste dépressif, du génie fou ou qu'importe. Mais derrière chaque note, chaque syllabe de Barnes, il y a une vraie envie. Il veut dépasser ses tourments, avec sincérité. Souvent, il utilise sa pop pure et assumée, complètement niaise, sur laquelle il colle ses idées noires. Mais parfois, il y a l'autre part de Barnes, celle qui est immergée qui se découvre. Celle que l'on n'a jamais envisagée, trop sûr qu'il n'était qu'un concept qui ronronnait. Ces instants de grâce sont rares, mais toujours là, disséminés dans sa discographie. Kevin Barnes glisse toujours une minute à vif, une minute où il est seul, à se dépecer. On voit alors le vrai Barnes, celui qui a fait naître le concept pour se cacher, qui enlève son masque et son maquillage. Il le faisait sur "Touched Something Hollow" sur Skeletal Lamping, sur quelques inédits comme "Feminine Effects". Sur Paralytic Stalks, c'est une minute précise, à la fin de "Wintered Debts" qui fait naître la vérité :

It's hard to sympathize with those that won't fight for themselves.
I can't hold both our faces off the flames much longer.
The child of our struggle is free.
I've fallen out of love with the prisoner.


Le constat est toujours aussi amer. Kevin Barnes abandonne, encore. Parce que les autres ne se battent pas aussi fort que lui, pour sauver ce qui existe vraiment, il laisse tomber. Il se sent prisonnier, alors que la naïveté et la fougue se sont envolées. Il l'exprime ouvertement, une fois seulement, l'espace de cinq lignes. C'est le "if I could only make you care" du "Rock'n'roll Suicide" de Bowie, c'est l'impossibilité de Barnes de croire à la vie à deux, même après 11 albums à s'analyser et à se disséquer. Alors il danse, et maintenant, advienne que pourra.