mercredi 19 août 2009

Route du Rock - St Malo. 14, 15 et 16 août 2009



C’était sûrement l’affiche à ne pas manquer, bien loin des groupes incontournables que proposent d’autres festivals. Le culte côtoyait le futur, l’electronica attendait que le folk se termine pour prendre le dessus.
Ca a duré trois jours, intenses, sans interruptions. L’herbe présente au commencement a vite laissé sa place à une terre dure et sèche. Les zombies ont peu à peu remplacé les fringants festivaliers.
Un festival indie, à taille humaine, mais fort, parfois trop fort.


Le Bruit et la Fureur




Le vendredi commençait sous le soleil. Malheureusement, Marissa Nadler et la voix grave de Mark Kozelek m’échappaient. Il fallait courir après les pass, installer la tente dans le grand champ qui fait office de campement, au bout duquel un bloc sanitaire trône, propre, pour l’instant.
Crystal Stilts aussi me fuit, à cause des embouteillages, aussi bien pour monter dans la navette qui rejoint le Fort Saint-Père qu’aux abords du lieu, où un engorgement de mélomanes attendant la fouille retarde le départ de ce qu’on peut appeler légitimement, des hostilités.
Tout commencera donc par Deerhunter.
Le chanteur, terrifiant dans ces habits trop amples qui masquent sa silhouette anorexique, statique, enchaîne les incantations. Ils sont immobiles, et de cette absence de mouvement jaillit une force, une intensité angoissante. Chaque chanson empiète sur la suivante. Ce concert n’est qu’une longue complainte. Le premier contact avec le bruit se fait. Quelques instants sont inaudibles, mais l’impression est bonne. Ce groupe est définitivement à revoir, dans une salle sombre, sans le soleil qui chauffe les joues et rend chaque concert, même le plus noir, souriant.
Des hommes âgés se trouvent sur scène. Entre temps, j’ai pu me promener dans cet espace clos. On y voit de tout. Des moules-frites, un camion à pizza, des galettes saucisses, des stands où l’on achète le jeton qui permettra d’acheter la boisson que l’on mettra dans le gobelet que l’on a acheté, avant de rendre ce gobelet, contre l’euro qu’il avait coûté. Consigne des gobelets, écologie oblige. Le stand des labels, par contre, est une mine d’or. On y trouve Talitres qui vend Flotation Toy Warning, ce groupe majestueux dont l’album n’est plus distribué, Swell ou The Wakmen, Another Records qui promeut Misophone ou Les Boutiques Sonores avec le joli vinyle de Mina Tindle. Tant pis pour le porte-monnaie.
Ces hommes mûrs, j’y reviens, font parti de Tortoise. Les pionniers du post-rock, de cette musique lente, qui prend du temps à s’installer, pour ensuite s’envoler. Hormis ces quelques envolées, l’ennui me gagne. De longues introductions qui s’avèrent être les titres complets. Puis l’impatience commence à poindre. D’ici quelques dizaines de minutes se dresseront quatre personnes, quatre humains, qui ont opéré une révolution en regardant leurs chaussures. My Bloody Valentine. Ils n’ont plus vingt ans, ils n’ont plus la même angoisse que dans les années 90. Mais leur musique reste intact, ce son reste. Les voir est une expérience à part, paraît-il.
Depuis le matin, des chuchotements s’installaient. « Ce soir c’est My Bloody Valentine ! On va en prendre plein les oreilles », « Il faut que je trouve des bouchons d’oreilles » et autres « Il paraît qu’ils jouent très très fort ». Autant dire qu’on s’y attendait, à ce que ce soit très fort. On s’attendait à ce déluge. Pourtant, la surprise fut complète. Des murs d’amplis apparaissent sur scène. Puis Kevin Shields et ses cheveux longs, son long trench-coat. Il empoigne une guitare, s’approche du micro. « One two », « one two ». Ce sera peut-être le seul moment où l’on entendra sa voix. Le son sec des baguettes de batteries annonce le début du concert. « One two three four ». La foule est, d’un coup, figée. Les gens se regardent. Ce premier accord est sismique. Tout tremble. « Maximum Volume Yields Maximum Results » comme il est écrit sur les disques de Sunn O))), tout s’explique. Il n’est plus réellement question de musique, c’est du ressenti. Un ouragan déferle sur la nuit de St Malo. Un « attentat contre la santé publique » disent certains. On n’entend pas les voix. Juste un son continu de guitares. Le stroboscope donne une impression de ralenti sur tout cela, comme si le temps n’était plus, que tout se vivait au ralenti. Cataclysme semble être le terme le mieux approprié pour qualifier ce déluge sonore. La fin n’en est que l’apogée. Près de vingt minutes de bruit qui s’entendront jusqu’à la côte, simplement du bruit, histoire de faire saigner quelques oreilles. « Thank you for being here ». Kevin Shields s’en va. Il a fait son boulot : il a donné à quelques personnes une expérience unique. Certains la trouvent désagréable. D’autres sont sur une autre planète et ont besoin de s’asseoir pour récupérer. C’était violent comme un plongeon dans une eau glacée, comme au fin fond de l’œil du cyclone. Il ne me reste que peu de temps pour récupérer avant A Place to Bury Strangers…
Il était possible que ce trio, le « groupe le plus bruyant de New York » joue plus fort que My Bloody Valentine. Les bouchons d’oreilles restent à leur place. Mais il n’en sera rien. Ils ne veulent ou peuvent pas rivaliser avec la puissance de Kevin Shields et sa bande, mais ils jouent plus sur l’énergie. La musique est bien plus lisible, accessible. C’est entraînant. Comme de la pop noyée derrière des sons saturés. La fin du concert est quand même apocalyptique, ils ont une réputation à tenir. Oliver Ackermann massacre sa guitare dans un tourbillon bruitiste. A Place to Bury Strangers est un des groupes à suivre, définitivement, comme le digne héritier de la scène noise, pleine d’énergie, de bruit et de fureur.

Scatterbrain

Impossible de dormir. Peu importe. La journée sera bonne. Et elle commence par une bonne surprise, sur le fauteuil de l’incompréhension. Assis pour un concert d’electronica. C’est comme couper les mains d’un artiste. C’est nier le côté dansant de cette musique. Comment feront-ils alors, demain, pour Gang Gang Dance ? On cassera les fauteuils. The Present, donc, groupe du producteur d’Animal Collective et de Panda Bear. Oui, ça s’entend. Il y a un côté « bruitiste » plus prononcé, presque drone par moments. Une jolie découverte. Viennent Forest Fire. Ils m’avaient ennuyé en disque. Et voilà qu’il recommence sur scène. Fade et répétitif. Peu prenant. Quelqu’un du stand Talitres (ce label merveilleux où ils sont signés) me dit qu’il faut les voir dans d’autres conditions. La vidéo de la Blogothèque les fait remonter dans mon estime. A suivre, pourquoi pas, il n’y a rien à perdre. La suite est plus complexe. Je veux voir St Vincent, voir ce que sont folk alambiqué donne sur scène. Sauf que, les navettes sont remplies comme des œufs. Impossible d’en attraper une. Alors on feintera, par la gare. Ouf ! Selon les horaires, on ratera seulement Papercuts, un groupe sympathique mais pas passionnant. Sauf que, une fois de plus, quand on arrive, Papercuts joue. Comment ? Ils seraient en retard à ce point ? Non. Ils ont inversé St Vincent avec Papercuts. Annie Clark me fuit comme Marissa Nadler. Papercuts passe tout seul, pas très inventif, mais agréable.
Camera Obscura vient ensuite, un cygne épinglé sur la veste comme un hommage à Mazzy Star. Ils ont sûrement été bercé par les rengaines enfantines de Belle & Sebastian. Assis dans l’herbe, en tailleur, sous un soleil voilé, un vrai moment de pop, allant et enchanteur parfois.
La nuit est tombée maintenant. Des bruits de radios retentissent. Il faut courir pour se frayer une place dans la foule. C’est The Kills. Jamie Hince et Alison Mosshart, les deux insolents à la boîte à rythme. Beaucoup de personnes sont là pour ça. C’est bien. Dansant, énergique, et toujours aussi sexuel. Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier leur musique. La tension érotique que dégage Alison, ce magnétisme est inouï. Elle jette des regards noirs plein de sous-entendus. Mais voilà, c’était la seconde fois que je les voyais. Je n’ai pas trouvé ça aussi intense. Des titres ont été ratés. D’autres manquaient (comment oublier Fuck The People, cette chanson dévastatrice ?). Ils auraient dû mieux faire, beaucoup mieux. C’est avec un goût amer que je regagne l’arrière du parc, proche de la nourriture et des boissons. La suite ne m’intéresse pas.
Peaches, à part Fuck the Pain Away, c’est typiquement ce que je n’aime pas. Un côté Girl Power énervant, une synthèse de ce qu’il y a eu de pire dans les années 80, de la provocation inutile… Mais on ne peut lui enlever son sens du spectacle. Elle allume littéralement le feu, en s’effeuillant peu à peu. La guitariste est en porte-jarretelles, ils sont tous à moitié nus. Peaches marche dans la foule, danse comme une folle. Mais la musique ne passe pas. Vite, la suite !
Et quelle suite ! J’attendais avec impatience cela. Four Tet, de l’electronica imbibé d’IDM (Intelligent Dance Music), à deux heures du matin, c’est le voyage assuré. Que dire ensuite… Dès les premiers beats, tout mon corps se meut, mon cerveau danse et envoie par décharges électriques des ordres à mes membres : danser, en rythme, de gauche à droite, en suivant ce rythme lancinant. Plus rien n’existe à ce moment-là. La foule se transforme en horde de zombie et tangue de gauche à droite. Pendant plus d’une heure et demi, le mouvement est ininterrompu. Il n’y a pas réellement de mots pour qualifier ce qu’il se passe dans ma tête, dans mon esprit. Il y a une sorte de vide, de néant agréable qui s’accompagne d’un plaisir physique. Rien qu’à y repenser, malgré l’absence totale de souvenir précis, mes jambes se remettent à bouger selon un rythme imaginaire. Quand il termine, sous les applaudissements très fournis, il fait signe et s’en va, avec le sourire. Il est venu, à fait danser et voyager les gens, et est reparti, humble comme tout, heureux comme un gamin. Sûrement l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, concert des trois jours. Après quelques minutes de silence, on peut recommencer à parler, mais l’on arrête pas de danser sur la route du camping.
Four Tet, en un mot : épique.

Féerie pour une autre fois



Ultime jour. Je n’ai pas dormi de la nuit. Je ne sais pas comment je tiendrai jusqu’à la fin de la journée. Sûrement en me blindant de coca et de café. En tout cas, pas de temps à perdre ce dimanche. Il y a Gang Gang Dance à Saint Malo. Alors allons-y. Avant, il y a Telepathe. Parfait pour la sieste. Dans cette grande salle de conférence aux fauteuils moelleux, je m’endors. Autant dire que la musique n’est pas passionnante. Mais Gang Gang Dance arrive. Il leur faut peut-être un quart d’heure pour que la sauce prenne, mais après, plus question de perdre du temps avec des enfantillages et des nappes lentes. C’est tribal et d’une violence rare. Pas moins de quatre moyens percussifs son utilisés, pour rythmer ces bruits de guitare, de synthé et la voix de la chanteuse, habitée. Elle chante comme une Beth Gibbons sous acide, danse sans arrêt, comme possédée par le malin. Malgré un petit passage à vide au milieu, la fin est ahurissante. Une lobotomie en règle. Quelques personnes se lèvent et dansent dans l’espace réduit entre les fauteuils, les têtes bougent. Beaucoup de personnes partent aussi, face à la violence sonore du spectacle. J’en ressors impressionné par l’intensité qu’ils arrivent à donner, la densité de leur musique et leur inventivité. Ils sont très fort chez Warp, pour dénicher des originaux. Parce que tout à l’heure, il y a Grizzly Bear, mais on en reparlera.
La priorité est tout autre, arriver de manière à voir Bill Callahan, l’homme toujours triste, même quand il remercie le public. Mais ce concert est très beau. Allongé sur la pelouse, les yeux vers le ciel, ses chansons touchent. Sa voix caverneuse se mêle parfaitement à la langueur des guitares. C’est brumeux comme le matin à St Malo, quand on ouvre la tente et qu’une lumière étrange éblouit. C’est doux comme la rosée. C’est une musique dépressive, certes, mais après ? Il en reste un bon souvenir, de beaux moments.
La suite la suite la suite. La suite est belle, une fois de plus. Non, je ne m’extasie pas devant tout ce que je vois ou entend. Juste qu’Andrew Bird, le siffloteur et violoniste est arrivé pile au bon moment. Alors que le jour fléchissait, il débarque avec son folk simple comme bonjour, et tellement beau. Il aura fallu attendre ce dernier jour pour ressentir les premiers frissons. Il chante, joue de la guitare, siffle, attrape son violon et lance quelques mélodies entêtantes. Il fait relativiser les précédents jours. À quoi a servi tout ce bruit, toutes ces expérimentations ? Alors que le folk donne toutes les réponses. Pas besoin de tout ça ! Juste une voix et une guitare. Et quand il annonce la fin du concert, le soleil se couche, avant les deux dernières chansons. Moment simplement magique. Tout semble simple avec Andrew Bird. Alors voilà, à voir et à revoir, et à revoir encore.
Le seul et unique français du festival est le plus indie des chanteurs de notre belle nation : Dominique A. Il est sombre lui aussi. Il arrive seul sur scène, avec sa Telecaster qu’il gratte mécaniquement. Le problème c’est que c’est répétitif. Mais parfois, des mélodies magnifiques apparaissent. Alors ça va, de loin, sur l’herbe, toujours. Puis de toute façon, on attend que Grizzly Bear. C’est un peu la grosse affiche du jour, tellement leur Veckatimest a marqué les esprits. Il est donc bon ton de se ruer devant la scène.
Allons-y, dernier concert très attendu du long week-end. Les prodiges de Grizzly Bear. Ceux par qui on a la preuve que Jonny Greenwood parle, puisque le guitariste de Radiohead avait annoncé pendant un concert (sic) que ce groupe, qui faisait leur première partie, est vraiment excellent. Si Jonny le dit, et prend la peine d’articuler des phrases, c’est qu’il doit y avoir quelque chose de fantastique chez eux. Oui, trop d’adjectifs trop emphatiques, je l’avoue. Mais voyons voir, qui, aujourd’hui, réussit à créer une pop si aérienne, une pop entortillée de mélodies improbables. Les chansons à tiroirs de Grizzly Bear sont belles, sont dansantes, sont prenantes, sont proches des chansons pop parfaites. Les harmonies vocales se mêlent à l’omnichord et aux guitares. Ils élèvent chaque chanson au rang de voyage dans un univers tout à fait particulier et inconnu. Ils méritent vraiment cette étiquette de futur meilleur groupe du monde, qu’ils hériteront quand Radiohead aura définitivement décidé d’en finir. Alors les voir là, comme ça, heureux de jouer, racontant des anecdotes par définition inutiles, pas bégueules du tout, c’est juste du plaisir et de la fascination. Tout se finit en beauté, avec un While You Wait for the Others d’anthologie. Et après ?
Et bien après, on n’attend plus rien. On regarde de loin Simian Mobile Disco et son electro classique mais puissante, le light show colossal. On essaie d’aller savourer l’electro indus d’Autokratz, mais après quelques pas esquissés, plus rien ne suit, il faut aller dormir, maintenant. L’organisme ne suit plus. Il fallait bien que ça arrive un jour.


Que reste-il, au final ? Une sensation au poignet. Je sens toujours ce bracelet rose pailleté qui a scintillé à mes côtés pendant trois jours. Je l’ai coupé, mais il semble toujours présent. Il reste aussi un souvenir de la violence de My Bloody Valentine, de ce premier accord comme un ravage. Il reste l’oubli que m’a procuré Four Tet. Il reste la lobotomie offerte par Gang Gang Dance. Il reste le sourire que m’a laissé Andrew Bird, il reste le plaisir de voir Grizzly Bear. Maintenant, je dois avoir la Grippe A, je tousse. J’ai du sommeil à rattraper. Je me déplace comme un zombie, lentement. Mais sans risques, rien n’a de saveur. La prochaine fois, alors, je regarde My Bloody Valentine sans bouchons d’oreilles.


Les photos sont prises chez The Man of Rennes.
Il y a des très beaux concerts à empoter sur La Blogothèque, et quelques concerts entiers (dont celui d'Andrew Bird) chez Arte Live.

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