dimanche 18 avril 2010

Hi, How Are You ?

Daniel Johnston - 18 avril 2010, Le Splendid, Lille.



Rencontrer un mythe, une légende, ça n'arrive pas tous les jours. Il y a seulement quelques semaines, j'étais confronté à Phil Elverum, un des artistes qui m'absorbe le plus, qui me fascine le plus aujourd'hui. (Concert dont tu peux lire une superbe chronique écrite par Nina ici). Aujourd'hui, c'était Daniel Johnston, figure emblématique des scènes underground américaine depuis maintenant quasiment trente ans. De jeune gringalet angoissé à obèse maniaco-dépressif dans un état végétatif avancé, il a inspiré le monde entier, de Vic Chesnutt à Kurt Cobain en passant par Tom Waits.
Pourtant, Daniel Johnston ne sait rien faire. Il ne sait pas jouer de guitare, ni de piano. Ou alors très mal. Et on ne s'attarde pas sur son chant nasillard pire que le Dylan de Another Side.

Je n'aurai jamais pensé le voir sur scène, de mes propres yeux. Pourtant, il tourne avec un orchestre hollandais, le Beam Orchestra et il s'arrête quelques dates en France. Et me voilà en face de Daniel Johnston, le ventre proéminent, tremblant terriblement. Il a un t-shirt sale, un jogging craqué. Il oublie de brancher sa guitare. Une fois qu'un membre de l'orchestre lui a rappelé, il rit et commence à jouer, seul. Trois ou quatre chansons, avec ses trois ou quatre accords. Il chante. On perçoit qu'il est concentré à l'extrême, attentif comme tout pour lire correctement le cahier de paroles qu'il a en face de lui.
Il s'arrête, et dit que le groupe va jouer. Tout l'orchestre le reprend. Oui, il faut qu'ils jouent avec eux. Il s'assoit alors, entame sa première bouteille de coca light et, toujours aussi tremblant, chante sur les orchestrations "too much" du groupe ses ballades épurées. L'orchestre est trop présent, il est partout et tente d'habiller les chansons. Daniel, lui, est totalement nu sur scène. Il se concentre pour chanter. Le reste du temps, il est ailleurs, complètement perdu. Il ne sait plus trop quelle chanson il doit chanter, le saxophoniste doit lui faire signe pour qu'il commence les chansons. "Où sommes-nous " demande-t-il ? En France. "Ah oui, je n'ai été que dans un macdo, et les macdos sont les mêmes partout dans le monde".

Il s'absente l'espace d'un titre ennuyeux du Beam Orchestra et oublie de revenir. Entre temps, il a terminé les trois bouteilles de coca et entame l'eau. Il est paumé. Il est devenu une sorte de légume chantant, et pourtant, il exerce et déploie une force impressionnante dans l'émotion. Il est ailleurs. Il ferme parfois les yeux et se fige. Le public ne sait pas comment réagir quand il s'étouffe avec les quelques mots qu'il prononce. On sent qu'il est content d'être sur scène, qu'il s'amuse, qu'il prend plaisir à chanter ses chansons.
Pour qui joue-t-il ? Pour lui. Il change de chanson au dernier moment et la dédie aux Beatles, mettant le Beam Orchestra dans l'embarras. Il semble complètement imprévisible, mais tellement appliqué une fois la chanson lancée.

Il m'est difficile d'expliquer pourquoi, malgré les arrangements dégoulinants de l'orchestre, pourquoi ce concert m'a plu. Tout comme il est impossible d'expliquer objectivement pourquoi la musique de Daniel Johnston est si géniale, si vraie, si prenante. Il y a quelque chose d'irrationnel dans tout ça. Daniel Johnston est un gros monsieur attachant et terrifiant. Un légume qui ne sait plus rien faire de ses mains tellement il tremble. Mais quand, accroché à son micro qui va et vient avec ses tremblements, il tente de chanter "True Love Will Find You in the End", c'est beau à pleurer.
Même si le concert en lui-même était plutôt moyen, c'était Daniel Johnston. Un nom de plus de rayé sur ma liste des choses à faire et à voir avant de mourir.

5 commentaires:

  1. Daniel Johston joue très bien du piano, et sa voix est haut perchée mais excellente je trouve. Quant à l'expression "légume" que tu uses et abuses ici, je trouve ça d'une part irrespectueux et d'autre part pas approprié.

    Bref sinon je suis d'accord avec toi en ce qui concerne les arrangements du Beam Orchestra, j'ai pas aimé en globalité. Je préférais bien plus quand il était accompagné juste par le guitariste The Angel, c'était parfait.

    Mais des chansons comme Walking The Cow, True Love ou Hey Joe ça reste magnifiquement boulversant quelque soit l'arrangement

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  2. Tu sais, Daniel Johnston me fascine. Mais c'est pas pour autant qu'il faut être aveugle. Objectivement, sa musique n'a rien de révolutionnaire et de grandiose. Pareil pour le légume. Il était à un mètre de moi, et je n'ai pas trouvé d'autres expressions meilleures pour le décrire. Même ses parents utilisent cette expression dans "The Devil and Daniel Johnston".

    Je remet pas du tout en cause le génie du songwriting de Daniel Johnston, j'en suis le premier friand. Juste que ce n'était pas du tout les meilleures conditions pour le voir, mais je l'ai vu quand même, et c'était magnifique.

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  3. Ce type reste un véritable mystère. Dommage que t'ais pas pu enchainer avec une interview...

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  4. Même les inrocks ont pas eu d'interview alors moi... ahah.

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  5. Non seulement Daniel Johnston est un bon pianiste, mais il a un vrai sens de la mélodie et il écrit de magnifiques chansons. Il a une voix étrange et poignante, à fleur de peau. C'est aussi un dessinateur de talent. Bien sûr, sa maladie l'handicape physiquement, il chante de plus en plus difficilement. Mais si Daniel Johnston "ne sait rien faire", alors on est vraiment tous des nuls.

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