Il y a quelques mois, Southern Lord, pilier du drone solide comme un roc, ressortait une version remasterisé des premiers enregistrements de Earth, sous le nom de A Bureaucratic Desire For Extra-Capsular Extraction. C'est mythique, la naissance du drone comme d'une pieuvre qui lentement étendrait ses tentacules interminables jusque Sunn O))) et Khanate. Avec le grandiose "Ouroboros is Broken", tout en implosion et en bourdonnement.
Rappelons-le, le drone est basé sur la répétition et la lenteur. Un motif se déploie, toujours lent, dans les sombres bas-fonds de la fréquence. Il se répète, encore et encore, attendant d'autres instruments ou d'autres sons, pour construire un mur d'ondes sonores et enfermer l'auditeur dans une cage inviolable.
Si Sunn O))) ira jusqu'à abolir le rythme et la mélodie, par jusqu'au-boutisme, Dylan Carlson et son Earth restera bien plus raisonnable. Jamais Earth n'ira si loin, lorgnant plutôt du côté d'un doom instrumental et ralenti, et plus sombre et malsain. Et Dylan Carlson ne se ferme aucune porte. Le EP Hibernaculum de 2007 puis le The Bees Made Honey in the Lion's Skull en 2008 marquaient comme un tournant. Non, Earth ne s'éloignait pas du drone, mais en redéfinissait les contours. Sans les bourdonnements, mais avec la même ambiance. Lenteur de rigueur, noirceur imposée, mais tourné de plus en plus vers la mélodie. Earth s'assagit, devient plus propre. Le ciel s'éclaircit.
Alors, vingt ans après le premier EP du groupe, qu'attendre de Earth ? Le drone a été usé jusqu'à la moelle. On ne peut plus ralentir ou alourdir le son. On ne peut plus ajouter de voix d'outre tombe, on ne peut plus en tirer de révolution. Mais on peut regarder ses aïeux avec respect. Earth, toujours présent, comme le père bienveillant d'une scène et presque d'un courant. Non, Earth n'a plus la rage contenue d'avant. Earth recrute un violoncelliste de renom pour attendrir ses bourdonnements, Carlson embauche Karl Blau, un pote de Phil Elverum sur son label K Records pour jouer de la basse. Et Earth prend son temps pour élargir ses mélodies. La lenteur demeure, elle fait toujours cette ambiance particulière signée Carlson.
Mais dans tout ça, il manque quelque chose. La fureur d'un "German Dental Work" par exemple. (Oh mon dieu il faut écouter la reprise de Khanate). Il manque de la cape noire et du regard possédé par la haine. Le folklore est toujours là, oui. Mais l'extrême s'en est allé.
Peut-être qu'Earth a fait le tour de son sujet. Peut-être que Dylan Carlson a perdu la foi. Ou bien la folie. Angels of Darkness, Demons of Light 1 n'est qu'un album de musique lente et hypnotique. Un album de drone, profondément drone. Et c'est bien ça le problème. On attend tellement plus de Earth. On veut des murs qui suintent et des femmes qui hurlent d'effroi. On veut des incantations imaginaires et des mythes morbides.
Southern Lord sort Angels of Darkness, Demons of Light 1, première partie d'un diptyque proposé par Earth, qui s'éloigne toujours plus de ses racines terreuses. Reste à voir avec le recul et la seconde partie, si Dylan Carlson vole dans la bonne direction.
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