mercredi 27 juillet 2011

בובע-מעשה (Bubbemeyses!) part. 1 : Introduction.



Début d'une série de quelques articles sur le yiddish en général, et la musique en yiddish en particulier. Parce que le yiddish revêt des traits assez méconnus et flous, parce qu'on ne sait pas trop de quoi on parle quand on parle de Klezmer, de culture yiddish, de chansons yiddish. Parce qu'on pourrait penser que ce n'est qu'un dérivé de l'allemand où l'on dit [Ikh] à la place de l'étrange [Iç] de l'allemand.
Une série d'articles sous le nom de בובעמעשׂה (Bubbemeyses), comme des histoires de grand mère, des contes racontés par les vieilles dames, qu'on imaginerait bien dans le froid de l'Ukraine, un fichu sur la tête. La grand mère juive par excellence (אַ יִדישע ,כּ,ע), qui fait honneur à ses clichés, qui raconte ses histoires, les enrobe d'autres histoires et les mélange, qui chante à ses petits enfants des chansons dans une langue qu'ils ne comprennent pas parce qu'elle meurt à petit feu, malgré quelques pôles de résistance.

Avant de s'attarder assez longuement sur la musique, dans les articles à suivre, il me semble important d'en dire plus sur le yiddish en tant que langue. Parce que ses singularités linguistiques sont la source de la singularité de la musique. Tout la musique yiddish est un miroir de la culture, de l'état d'esprit et de la langue elle-même. Une langue totale, qui induit un mode de vie et de pensée, entre l'hébreu et l'allemand, avec des touches de russe et de polonais, une langue entre les contraintes de la vie de tous les jours et le poids des obligations religieuses.

Le yiddish, c'est la langue des juifs en Europe. Dans tout le continent, les juifs parlent yiddish. Autour du Xeme siècle, en Europe de l'Ouest, le yiddish apparait. La base est avant tout germanique, avec l'alphabet hébraïque, mais surtout, le yiddish adopte et assimile toutes les langues autour. Le yiddish est profondément ancré avec les lieux où ont vécu les juifs. Les shtetl, aux alentours de ville comme Metz, Cologne ou Ratisbonne développent un langage commun pour unir les juifs, et les exclure des autres à la fois. Les juifs sont éclatés dans toute l'Europe, et le yiddish leur donne un point commun, leur permet de vivre ensemble selon leurs traditions. Sans compter les politiques de ségrégation des seigneurs, qui ne font qu'accentuer le phénomène. Les quartiers juifs parlent yiddish, bien loin des quartiers chrétiens. Pour autant, il n'y a pas ici d'idée de séparatisme. Beaucoup de juifs parlaient yiddish et langue locale, sans oublier l'hébreu, la langue sainte pour les plus éduqués.

Nathan Süsskind détaille le yiddish en trois périodes. La première le "Juden-deutsch", une base d'allemand avec des bouts de langues romanes, amenés des migrations de la France vers l'Allemagne. des bouts d'hébreu et d'araméen venus avec la religion et la Bible. Entre 1150 et 1350, la pression économique, la discrimination croissante et les expulsions de plus en plus nombreuses, accompagnées de la montée de la religion, le dialecte évolue vers ce qu'on appelle le "altyidish", le vieux yiddish. On y trouve l'influence des langues slaves, avant l'élargissement du Yiddishland à la Hollande et aux pays baltes. Au XVIIIe siècle, le yiddish s'efface doucement de l'Europe de l'Ouest pour se renforcer à l'Est. La raison ? La sécularisation.

Y a pas que Rabbi Jacob dans la vie.
Au départ, le yiddish était écrit comme les textes sacrés, avec les lettres hébraïques. Le XVIIIe et le XIXe voient le désenchantement du monde : les gens perdent foi en la magie et la religion. Et le yiddish, comme souvent, suit les évolutions de l'Europe et s'adapte à la modernité, des mots apparaissent pour coller à la vraie vie. Le yiddish a su évoluer pour rester proche de la vie de tous les jours, sans s'enfermer dans la religion. Yontef était une fête religieuse, c'est maintenant simplement un jour férié.

Le yiddish a donc formé une nation au sein même de l'Europe, une nation qui transcende les frontières. Une nation construite par la force d'un langage et de traditions.
Et bien sûr, un langage implique une culture. Avec ces évolutions, le yiddish a vu naître son théâtre et sa littérature, son cinéma plus tard, et surtout sa musique : le Klezmer.

Le Klezmer vient de deux mots yiddish, forcément. Klei (קלײ) et zemer (זעמער), ce qui veut dire "instrument de chant", encore un glissement sémantique où l'objet dépasse le matériel pour devenir un mouvement. Le mouvement, d'ailleurs, c'est l'essence même du Klezmer. Comme le yiddish, il a suivi les migrations, les Klezmorim (les musiciens) sont itinérants et suivent les mouvements et les migrations du peuple, s'imprègnent de la musique d'où ils sont. Ils remuent la terre sous leurs pieds pour apporter de nouvelles sonorités à leur musique. Le Klezmer devient alors un balagan (באַלאַגאַן) totale, entre musique d'Europe Centrale, d'Europe de l'Est, musique turque et des balkans avec une touche de tzigane. On le joue aussi bien au violon (פֿידל) qu'on fait crier les clarinettes. Et on s'attardera sur les thèmes abordés plus tard, avec des extraits à l'appui.

En attendant, pour vous mettre en condition pour la partie suivante, vous pouvez écouter les grands classiques du Klezmer.
Itzhek Perlman par exemple, qui quand il ne s'amuse pas à jouer du Mozart et du Tchaikovski, se laisse aller à quelques thèmes Klezmer. 



Sans oublier l'éternel Giora Feidman. L'argentin, qui fait pleurer sa clarinette depuis 30 ans maintenant, en mêlant jazz et soul, Gershwin et Klezmer.

On ira plus loin plus tard, avec des analyses de chanson particulières, un petit tour des thèmes abordés par la musique en yiddish, le contexte et ainsi de suite. Après, on verra ce qu'on a fait du klezmer ses dernières années, ses incursions dans le jazz, dans le hip hop et un peu partout.

3 commentaires:

  1. C'est intéressant et j'attends la suite avec impatience car cette musique est vraiment belle et importante par ses influences. Et je n'en connais pas grand chose jusqu'à arriver aux groupes modernes qui intègrent ces influences.

    Une question-remarque : une langue et une culture ne sont pas suffisantes à former une nation, non?

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  2. Oui bien sûr, il faut plus qu'une langue et une culture. On pourrait aussi ajouter la religion. Et ils vivent sur un ensemble géographique similaire.

    Il n'y a certes pas de frontières et pas d’État. Plein de différences même sur la langue elle-même ! Mais je pense qu'on peut parler de nation parce qu'il y a quand même une idée de vivre-ensemble, une nation pas unifiée mais qui se définit par une religion, une langue et une culture, et surtout qui se définit par la différence avec l'autochtone.

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  3. "Yiddish Connection: Et Dieu créa l'argent..."

    Je connaissais pas ce film mais là, ça me donne absolument envie d'en savoir plus haha.

    Sinon je te l'ai déjà dit mais je vais suivre cette série de papiers avec attention; pas mal de choses que je ne connais pas sur le sujet. :)

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