jeudi 28 juillet 2011

בובע-מעשה (Bubbemeyses!) part. 2 : Chansons à boire et religion.



Le Klezmer est donc un balagan, comme je l'ai dit hier. Le balagan est un mot hébreu qui veut dire désordre. Enfin, un peu plus que désordre, puisque c'est un terme qui vient surtout du saccage du second temple de Jérusalem. La connotation religieuse et sacrée est très forte. Sauf que le yiddish s'accapare des mots hébreu, et les tourne en dérision. Un père de famille entre dans la chambre de son fils et, devant le bordel, décrit un balagan. Rien de comparable, mais tout est là : on prend la religion, et on s'en moque gentiment. On prend tout ce qu'on trouve et on lui donne un côté sacré mais pas trop.

On imagine souvent le klezmer comme instrumental. Violon et clarinette, une contrebasse, et comme un orchestre de jazz, des heures de musique. Mais je voudrais surtout m'attarder sur la chanson yiddish, pas le klezmer en général. Quelle différence ? Il n'y en a pas réellement, en fait. La chanson en yiddish est souvent klezmer. Quand on dit klezmer, on entend Shalom Aleichem.

  Shalom Aleichem by LouNathanson

Et l'air de rien, dans ce classique presque cliché de la musique juive, on trouve toute la dimension du klezmer et par extension de la chanson en yiddish : le tragique qui se mêle à la joie. La mélodie accélère peu à peu et entraîne des canards de clarinette. Le solennel du début devient l'enjoué.
Une chanson yiddish dans un mode mineur est joyeuse comme un gamin à sa bar mitzvah. Sinon elle est en mode majeur et on pleure toutes les larmes de nos corps. Tout est dans ce paradoxe qui veut mêler deux extrêmes. Pourquoi ? Parce que l'humour et la distanciation sont des bases de cette musique juive. Jamais on ne s'apitoie sur son sort sans se moquer de soi-même. Jamais on invoque Dieu, mais plutôt Gotenyu, mon petit Dieu. Il y a toujours dans cette musique un caractère solennel. Peut-être à cause du contexte des vies des artistes et des horreurs du siècle dernier. Il y a toujours une foi derrière, même derrière l'humour et la dérision. Pas une foi religieuse, mais une foi en un peuple et une culture, une fierté peut-être, qui sait.

Il est assez difficile de trouver les chansons sur le net (quelques unes sur youtube), j'en ai mis la plupart sur soundcloud pour vous permettre de les écouter. (Attention, les enregistrements sont soit vieux, soit ridicules). Il est aussi difficile de trouver les textes ou des traductions. Ce qui me limite un peu dans mon choix, d'autant qu'avec la translittération, les orthographes changent sans arrêt. Mais voici quand même un petit tour d'horizon des thèmes, appuyés par quelques chansons. 

A Serious Man
Bien sûr, la religion est un des premiers pôles des chansons. On l'a déjà vu dans la première partie, mais le yiddish se définit par la religion et les textes sacrés. Il s'écrit avec les lettres hébraïques et emprunte un nombre considérable de mots à cette langue. (On dit d'ailleurs qu'apprendre le yiddish n'est pas si difficile, mais qu'il faut dix ans pour connaître tout le folklore et les histoires qui l'accompagnent, tous les mots hébreux que l'on trouve dans les textes). Et ces chansons, on les retrouve la plupart du temps aux Shabes Tish. La table du shabbat, si l'on devait traduire. Une cérémonie religieuse ? Non, juste un moment où Dieu devient un prétexte pour boire de trop et se rassembler, chanter en tapant sur les tables. Le religieux semble bien loin dans ces moments. Mais on chante des anciennes prières, comme Shnirele Perele.




Collier de perles, fanion d’or,
Le Messie, fils de David siège à la place d’honneur
Il lève une coupe de sa main droite,
Il bénit le pays tout entier ;
Oymen, oymen, c’est la vérité
Le Messie va venir cette année 
Viendra-t-il en carriole ? Ce seront des années fastes ;
Viendra-t-il à cheval ? Ce seront des temps heureux ;
Viendra-t-il à pied ? Les Juifs s’établiront en terre d’Israël.

On appelle le Messie, on l'attend. Mais c'est une prière, alors la chanter ainsi, en faire comme une chanson à boire, c'est encore une preuve de cette sécularisation, on détourne le religieux, ou plutôt, on le désacralise. L'autre preuve, c'est qu'on se moque des rabbins.



On respecte le rabbin, mais on s'en moque. Alors silence, chut, le rabbin va danser et ainsi faire fuir le diable. Satan reste raide mort parce que le rabbin danse. La danse comme exorcisme, un peu gros, mais on y croit.



Mais de là à dire qu'on se moque seulement des rabbins, on se moque de tous, de ceux qui font tout comme le rabbin, de peur de trahir les autorités divines ? Quand le rabbin rit, tout le monde rit, quand le rabbin dort, tous les hassidim dorment. Et ainsi de suite. Mais la chanson en elle-même, la mélodie est pleine d'une fougue. Chaque chanson, qu'importe son contenu, a à la fois une grosse dose d'humour (écoutez ces ouilles ouilles) et un air sérieux. C'est l'humour yiddish. Quelque chose de difficile à expliquer, entre fierté mal placée et auto-dérision.

  Als Der Rebe Singt by LouNathanson

Chaque partie de la religion est retournée par la chanson. On se moque des exégèses de la torah, mais on continue d'aller à la schul le vendredi soir. Plus comme un acte culturel que religieux, comme un acte d'appartenance à une communauté. Et la communauté juive tient sur plusieurs piliers, on se retrouve autour d'une table durant le shabes. Donc on mange. Et le klezmer a célébré la nourriture des yidishe mame, et cette tendance à boire un peu trop de gnole pour se réchauffer.

  Di Maskhke by LouNathanson

Une chanson éloge à l'alcool fort qui tourne autour des tables, le grand-père qui remplit allègrement chaque verre sans distinction d'âge. (On chante aussi bêtement les patates (kartofel) et les varnishkes. Il y a même l'équivalent de la comptine "Lundi des patates" etc, avec Bulbes). Et une conclusion en L'CHAIM ! A votre bonne santé, en attendant demain les chansons tristes.

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