vendredi 28 mai 2010

Teorema.

J'ai remarqué récemment en voyant le Porcile de Pier Paolo Pasolini, que dans presque chacun de ses films, l'italien filme l'Etna. Le volcan et son paysage aride et lunaire est le point central de Teorema, tout s'articule autour de ces scènes étranges. Je ne sais pas où ont été tournées les scènes dans le désert de Il Vangelo Secondo Matteo, mais le désert est un thème propre à Pasolini faut croire. Il aime filmer la fumée qui s'échappe d'un cratère, les pentes importantes que les personnages gravissent avec difficultés, et surtout le vent qui déplace la poussière.

Chez Pasolini, et surtout dans le grandiose Teorema, il n'y a pas de dialogues. Il n'y a pas d'actions. Juste des plans qui se succèdent et qui sous-entendent. La terrifiante Silvana Mangano (autrefois sirène provocante chez De Santis, dans Riso Amaro - quelle métamorphose !) et les autres membres de la famille découvrent leurs vies grâce à Terence Stamp et son étreinte. En plus de transgresser de nombreux interdits (eh, c'est Pasolini) comme l'homosexualité, Pasolini filme sa métaphysique. Terence Stamp, figure christique qui change la vie des bourgeois par l'acte sexuel. Et par extension, qui matérialise la foi, la transcendance. Et le titre fait de cela un théorème, quelque chose d'implacable et de mathématique.

Pourquoi tout ça pour parler du Amber de Autechre ? Parce que le film de Pasolini est avant tout un poème expérimental, quasiment sans dialogues, avec des plans qui s'immiscent et brisent le semblant de narration. On pourrait penser que le pauvre italien a fait n'importe quoi. Que son film n'est qu'une succession de provocations qui visent à emmerder le pape. Un espèce de délire aléatoire destiné aux intellos en mal de sensations fortes, du genre ceux qui vont voir Enter The Void et qui ne jurent que par Godard (c'est gratuit, je sais).
La musique d'Autechre est comme le désert narratif de Pasolini. Elle semble aride, incompréhensible, froide et mécanique. Voire totalement hasardeuse, parce qu'elle est électronique et qu'elle jaillit du hasard. Mais derrière tout ça, il y a un théorème qui marche à tous les coups. Mettre un casque + appuyer sur le bouton play = transcendance. Sans la dimension mystique, Autechre balance le Terence Stamp de la musique. Celui par qui la vie change, sans explications rationnelles, comme le voyage dans le désert de Jésus l'avait changé. Autechre offre la bande son aux errances de Théodore Monod. Juste un ensemble de sons, comme un ensemble de plans, construits à la milliseconde pour trouver la faille et recréer l'étreinte.

Autechre sort son chef-d'oeuvre Amber en 1994, vingt-six ans après le Teorema de Pasolini. C'est chez Warp, forcément, et ça ne demande pas à être compris, mais à être vécu. Ce qui pourrait être la morale du film.
(Là c'est plié, je suis démasqué, le disque n'est qu'un prétexte pour m'attarder sur Pasolini).

3 commentaires:

  1. J'ai failli m'étouffer en te voyant mettre dans le même sac les amateurs de Godard et de Noé. Mais bon, à part ça je trouve qu'au delà du fait que la musique est un prétexte pour parler cinéma, tu fais des associations judicieuses.

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  2. Un grand album d'Autechre (comme tant d'autres :-D)

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  3. Je n'aurai jamais pensé à Pasolini si j'avais du faire une telle comparaison. Je me serai surement embarqué dans un truc plus cliché en choisissant un réalisateur plus industriel. Le texte n'en est que d'autant plus intéressant.

    (En revanche un bémol pour la remarque sur Noé et Godard, mais ça je vais te le dire par mail^^)

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