mardi 31 août 2010

La Bête Humaine.

S'il y a bien quelqu'un qui niait l'individu, c'était Émile Zola. A l'instar de la sociologie naissante, Zola écrasait l'être avec la société et la science. Une science imperturbable, qui fait du fils d'ouvrier un ouvrier. L'alcoolique engendrera des alcooliques. Pas de place pour la liberté dans ce dédale. Juste un mécanisme qui s'applique, coûte que coûte. Les Lantier feront des Lantier. Le meurtre, l'horreur sont intrinsèques à leur condition, et ils ne peuvent s'en défaire. Cette mécanique inhumaine se joue en pleine révolution industrielle, quand la vapeur remplace les animaux et les chevaux, que les machines et les mines fleurissent. Les ambiances de Zola sont sombres et glauques, il s'attache à mettre en lumière le morbide, le malsain de tout cela, se concentre sur la part sombre des hommes, en oubliant les miracles.

Jésus, lui, remet l'individu et la liberté au centre de tout. Il redonne la vue, ressuscite Lazare, "lève-toi et marche !". Bien loin de toute idée religieuse, la figure de Jésus incarne celle d'une liberté. Pasolini en fait l'icône d'une cité idéale dans Il Vangelo Secondo Matteo, où le marxisme s'immisce dans l'évangile. Dostoïevski voit en l'existence de Dieu la limite nécessaire à la liberté. "Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis". En d'autres mots, Jésus, comme la science ou la société, offre une explication. Mais cette explication s'adapte à l'homme, elle lui offre le libre-arbitre, le choix de ses actions. Ce n'est pas une contrainte, c'est seulement un cadre où l'individu est individu. Bien plus qu'un simple pion déterminé par une instance supérieure.

Nika Roza Danilova percute ces deux idées. Dans un décor industriel et sombre, elle dresse un cadre, comme une toile, où les rythmes sont des mécaniques incoercibles, ou les nappes comme les machines ne perdent jamais la cadence. Elle tisse petit à petit sa toile. Et, sur cette aire décharnée, elle se débat. Elle tente d'échapper à ce destin qui s'impose. Elle se pose comme une agitatrice de la machine infernale, remettant l'homme au devant de tout. Sa voix efface les ondulations et martèlements des machines dignes de Nine Inch Nails, pour y jeter des sentiments purs, des vraies actions humaines, organiques et charnelles. Le combat entre Jesus et Zola n'est en rien stérile, il donne naissance à une synthèse, digne de la plus belle dissertation : comment vivre le libre-arbitre au sein d'une société réglée comme une montre suisse ? Une question forcément sans réponse. Qu'importe l'âge. Mais à laquelle elle répond par des incantations hantées.

Sur du Zola, Nika Roza Danilova fait du Jesus. Elle mêle deux extrêmes : la foi et le rationnel. Lyrique et possédé, terrifiant et aussi pur que le sourire de Nana, le lugubre devient lumière entre les mains de Zola Jesus, qui sortira son Stridulum II le 6 septembre chez Souterrain Transmission.

8 commentaires:

  1. Et finalement, Zola Jesus est comme ses géniteurs homonymiques. L'un visait la gloire et la vente de ses livres. L'autre -ou en tout cas ses disciples- prêchait le prosélytisme.

    Zola Jesus, elle -pour mieux convaincre?- nous sort un Stridulum II qui est la réplique de Stridulum + trois titres + une pochette en relief. J'hallucine?

    Voilà qui, malheureusement, désacralise!

    Ceci dit, fameux article, fabuleuse musique (commentaire basé sur le seul Stridulum initial).

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  2. Ouais je suis tout à fait d'accord sur ce point. Stridulum II ne sert absolument à rien comparé au premier. Ça n'a pas de sens, même s'ils sont biens ces trois morceaux.
    Je l'ai pas écrit parce que je savais pas trop où le caser dans la chronique, mais je l'ai pensé très très fort.

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  3. Dahu Clipperton31 août 2010 à 11:13

    Ouais, ça m'a passablement énervé aussi ce côté "on re-package les mêmes titres à 6 mois d'intervalle". Et cette pochette en 3D, n'importe quoi... la photo d'origine est superbe, pourquoi en faire trop ? :-/

    Cela dit, et même si ce n'est pas un de mes genres de prédilection, il m'a bien étonné ce "Stridulum"... Et en fait, arrivé à la soixantième écoute de "I can't stand" en une semaine, je me dis que je suis prêt à lui pardonner beaucoup de choses ^^

    (PS : j'ai farfouillé dans les articles plus anciens, je vais pouvoir te remercier d'un sacré paquet de découvertes, Nathan... mais je prends le temps de déguster ;D)

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  4. Je n'en parlerai pas tellement ça me semble être une hérésie par rapport à la version originelle.

    En revanche la critique est vraiment très réussie avec une construction bien sentie.

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  5. je trouve que les 3 nouveaux titres inquiètent plus qu'ils impressionnent, ceux qui tombent direct sur le II risquent de ne pas comprendre pourquoi on a dit tant de bien du EP :-/

    mieux vaut se ruer sur son disque avec LA Vampires, hyper sombre, croupi dans la boue d'égouts, et un des meilleurs disques de ce milieu d'année ^^

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  6. J'ai été déçu par le disque avec LA Vampires que j'ai trouvé un peu chiant... Je vais le réécouter pour voir, quand même.

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  7. Plutôt d'accord avec Nathan qu'avec Arbobo pour la collaboration avec LA Vampires...
    Mais, moi aussi, je réécoute!
    :-)

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  8. Enfin vocalement, elle est vraiment limite je trouve par moment, elle se force à avoir "une grosse voix" et jouer les équilibristes, ça va qu'un temps. "Je vous dis ça comme ça, faut pas le prendre de haut" ;-)

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