vendredi 16 septembre 2011

בובע-מעשה (Bubbemeyses!) part. 7 : Dire Gelt !


Dans les vieux mythes, au plus profond des plus datées des stéréotypes, il y a cette idée que le juif est riche. Pas un peu riche, très riche. Parce qu'il est bon en affaire, parce qu'il compte, et parce qu'il arnaque à tour de bras. Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi... est négociable. Bien sûr, en plus d'être totalement infondé et erroné, ce préjugé est assez nauséabond. D'abord parce qu'il est aussi éloigné de la réalité que New York l'est de Vilnius, et ensuite parce que les conditions de vie des juifs en Europe au cours du siècle étaient tout sauf paradisiaques, sans parler de la seconde guerre mondiale. Entre les humiliations et l'emprise du Tsar, l'exode et la nostalgie, ils ont pas plus le temps qu'un autre de s'en fourrer plein les fouilles. Derrière cet amalgame, il y a seulement une incompréhension : il est écrit dans l'Ancien Testament "enrichissez-vous", mais c'est pour ensuite enrichir les autres. On retombe toujours sur l'idée de communauté qui prime. Et on arrivera des siècles plus tard au Kibboutz en Israël, véritable village utopique où le partage est le premier commandement. On pourrait essayer de faire un travail à la Weber et voir s'il existe une éthique juive qui expliquerait ce rapport à l'argent, mais on a pas spécialement le temps, et on est là pour parler de musique, avant tout.

That's no time for a bus'nessman to die
Les juifs n'ont pas forcément d'argent, donc, mais ils ne se privent pas pour s'en amuser, pour se moquer des clichés, les grossir, les surligner pour s'en moquer. Un moyen de prendre de la distance sur un antisémitisme omniprésent. Irving Berlin, auteur américain d'origine juive né à la fin du XIXe siècle ne s'en est pas privé. Il enrobe le cliché d'un humour totalement juif, avec "Cohen owes me 97 dollars".







L'histoire est simple comme tout. M. Rosenthal est mourant, cloué au lit alors il attrape son fils par l'oreille et lui explique que M. Cohen lui doit de l'argent, que les frères Levi, c'est pareil, sans parler des Rosenstein. Alors le fils, bien gentil, il va réclamer les dettes, il récolte l'argent. Et donc :

What could my son do with all that money
If I should leave it all and say goodbye?
It's all right to pass away, but when people start to pay
That's no time for a bus'nessman to die


On appréciera tout particulièrement l'accent yiddish de Janet Klein, l'interprète de la chanson, où les w deviennent des v sans arrêts. Mais derrière cette douce ironie et ce recul, il y a le véritable problème de l'argent ; il faut payer le loyer. Pourtant, on a beau payer, les conditions de vie restent insupportables. Alors on le raconte en chanson, sans jamais perdre son humour et sa joie. On laisse le rythme élevé et on chante en cœur "Dire Gelt", "il faut payer le loyer ! Mon Dieu il le faut !"


  Dire Gelt by yiddishsongs

Si l'on ne paye pas, le propriétaire (qui a beaucoup d'argent lui, et qui n'est sûrement pas juif - le monde à l'envers), va venir avec un bâton, il va venir et prendre nos lits... Avant de nous foutre à la rue définitivement. Mais la question se pose enfin, et la chanson se termine sur une note tout à fait différente : "Pourquoi devrions-nous payer ce loyer alors que les fourneaux sont cassés et qu'on n'a rien sur quoi cuisiner ?". Déjà, derrière cette petite phrase, les premiers soupçons d'engagement et de révolte, face à une vie bien trop différente des représentations des juifs.


Mazel tov !
La vie est tellement difficile qu'on se réjouit, toujours avec humour, quand le fils ainé se marie. Alors on s'embrasse, on célèbre les fiançailles d'Itsik, qui va se marier sans une piécette dans sa poche. Pas de pain, pas de viande, même pas de challah, juste des matzhés bien secs parce qu'Itsik va se marier. Personne ne l'a forcé, il s'est précipité lui même vers sa ruine. Et ça fera toujours une bouche de moins à nourrir.



  Itsik hot khasene gehat by yiddishsongs

Dans une autre version, celle de Shloyme Prizament, la version qu'on chantait dans les cabarets d'Odessa, on concluait ainsi :

I know you wanted a daughter-in-law with lofty pedigree
And you didn't inted to have such in-laws
But when she opens her eyes it's as if the sun began to shine
You said you didn't like the fact the bride had no money
But father, you're from the old world :
When you have two healthy arms, you don't go under,
And love, father, is more important than money!

Et ce sera parfait comme conclusion.

2 commentaires:

  1. " Un moyen de prendre de la distance sur un antisémitisme omniprésent "
    ou ça ?

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  2. En Europe, jusque 1945, pour un antisémitisme assumé.

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