jeudi 2 septembre 2010

Man on Wire.

La magie du folk tient sur un fil. Et de fait, le folk, c'est l'expression de la fragilité. Alors arriver avec ses grands chevaux pour transmettre une sensibilité à fleur de peau, quelque chose de tellement intime qu'il devient la propriété de chacun, cela ferait mauvais genre. Et, depuis quelques temps, les disques de folk fleurissent comme les boules de Noël sur un sapin début décembre. Ils sont constants, ils ont leurs moments de grâce. On peut en citer à la pelle, des Sharon Von Etten, des Vandaver, des Vetiver, des Taken by Trees et tant d'autres. Une vague de retour vers les basiques, vers un folk sommaire et épuré, où la voix hante et la guitare accompagne discrètement. Et hormis quelques émerveillements (Alela Diane ou Tiny Vipers par exemple), on se lasse. On écoute une fois ou deux, on apprécie, mais on n'y retourne pas. La foi en cette musique et en sa pérennité s'estompe peu à peu.

Il aura fallu attendre Have One On Me de Joanna Newsom, indétrônable merveille pour se retrouver désarçonné. Deux solutions s'offrent : nier le tout et dire "non, ce n'est pas du folk", ou garder les yeux écarquillés et se demander qui a eu cette idée un peu folle d'emmener le folk vers la symphonie. Ce n'est peut-être pas du folk à proprement parler, mais la fragilité, la sensibilité exacerbée et la grâce demeurent. Et une musique acoustique telle, excusez-moi, mais c'est ce qu'on appelle du folk.

Alors voilà, j'avais mon album de folk de l'année, il était long et majestueux, et en plus, il était mon album de l'année tout court. Et voilà qu'un autre ponte se décide à sortir de sa grotte. Et il est fort probable que la demoiselle Newsom ait influencé le sieur Stevens. Ou c'est la conjoncture des étoiles, parfaitement alignées pour que le folk se ressource grâce à ses deux plus doués protagonistes. Et en soi, c'est une petite révolution. Il suffit de se rappeler un morceau comme "Ballad in Plain D" ou "Chimes of Freedom" de Bob Dylan. La mélodie ne varie pas. Elle se répète pendant de longues minutes, seule l'intensité évolue. Et maintenant, voilà qu'une idée fantastique de mélodie comme celle de "All Delighted People" mérite deux titres, deux versions. Sufjan Stevens a décidé, comme Joanna l'avait déjà fait sur Ys, d'étirer le tout, de l'écarteler, de tirer tous les possibles de cette mélodie, tous les sentiments, toutes les idées. Il la vide de sa moelle, comme un boulimique. Grâce à un amas impressionnant d'instruments et d'arrangements, une simple idée devient un véritable thème comme la sarabande d'Haendl dans Barry Lyndon. Impossible de s'en défaire, il se répète sans arrêt avec de nouveaux attraits, de nouveaux habits. Du tragique à l'enjoué, de la mélancolie à la sobriété. Et le pire dans cette histoire, c'est que ces incessantes variations fascinent, sans jamais tomber dans l'ennui.
Et entre les deux pièces majeures de son EP (qui dure une heure, et on nous la fait pas à nous, ça s'appelle un album, Sufjan), il se contente de chansons simples mais virtuoses dans les arrangements, où chœurs et cuivres se disputent la vedette, alors qu'on sait bien que les cordes vaincront. Et le tout, à un tel point que je serai presque en mesure de dire "non, ce n'est pas du folk ça". Bah non, c'est tellement plus, c'est du Sufjan Stevens.

Sufjan Stevens sort son "EP" All Delighted People cette année, en attendant l'album sous peu. C'est chez Asthmatic Kitty, et c'est comme un numéro d'équilibriste : on se demande vraiment comment il fait.

3 commentaires:

  1. Nathan, merci pour ce très beau billet... J'aurais sans doute repoussé l'écoute à (bien) plus tard, si ça se trouve je serais passé à côté...
    Non seulement la version de la chanson-titre en ouverture est incroyable, non seulement il y a là des chansons belles à se pendre (pfff, "Heirloom"...)
    ...mais avec "Djohariah", je me suis ramassé une baffe très violente comme on s'en prend très rarement. Même pas pensable d'écrire un (gros !) morceau aussi lumineux (je ne trouve pas, là tout de suite, d'équivalent à l'anglais "uplifting") sans que ça sonne une seule seconde niais ou béni de la crèche...
    Je pèse mes mots... merci merci merci

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  2. Tout le plaisir est pour moi, Dahu.
    J'avouerai aussi qu'au début, j'y croyais pas. Et que j'ai écouté ce disque par acquis de conscience. Faut dire que son délire BBQ était assez déroutant, et qu'il m'avait ainsi évincé.
    Et je suis tout à fait d'accord pour "Djohariah" (la fin est "mindblowing"), même si pour moi c'est le titre d'ouverture le plus lumineux. C'est presque aussi fascinant que de la musique classique.

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  3. Bon sang, j'ai sauté dessus le jour de la sortie, mais je n'étais pas prêt à ingérer quelque chose d'aussi long et complexe. 3 semaines plus tard, je ne peux dire qu'une chose: cet EP est fabuleux, et je trouve ça franchement drôle de le publier comme un simple amuse-gueule.

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